BroderieForte de toutes ces informations, j'ai à mon tour effectué quelques recherches; en voici la synthèse qui confirme la version de Lacour :

Cette communauté de filles séculaires devait son origine à Marie Delpech, connue sous le nom de mademoiselle de Létan. Elevée à Bordeaux dans une maison d'orphelines, existant dès 1616, elle en devint la bienfaitrice, et lui procura des statuts, dressés en 1638 par Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de cette ville. Elle devenait alors une congrégation de filles et de veuves.

L'utilité de cet établissement fit naître à quelques personnes pieuses le projet d'en former un semblable à paris. Mademoiselle de Létan y fut appelée en 1639, et se logea d'abord rue du Vieux Colombier.
 Le nombre toujours croissant de ses élèves la détermina, peu de temps après, à prendre à loger, près du noviciat des Jésuites, une maison qui devint bientôt trop petite pour quatre-vingts orphelines, dont elle dirigeait déjà les travaux. Elle acheta donc en février 1640, rue Saint-Dominique, la maison que cette communauté a occupée jusque dans les derniers temps, et l'agrandit, la même année, par l'acquisition de sept quartiers de terre contigus.

BroderieLe roi permit cet établissement par lettres patentes; et M. Henri de Gondi donna à ces filles des statuts, qu'elles ne cessèrent point d'observer avec la plus grande exactitude. Le 16 juin 1641, elle fonda le couvent des Filles de la Providence connu aussi sous le nom des Filles de Saint-Joseph.

L'objet de cette institution était d'instruire des orphelines dès l'âge de 10 ans et de leur apprendre toutes les petites industries convenables à leur sexe, jusqu'à ce qu'elles fussent en âge d'être mariées, d'entrer en religion ou de se mettre en service. Ces orphelines pauvres recevaient donc une éducation comprenant la lecture, l'écriture si elles étaient aptes, les aiguilles et le ménage dans tous les cas. Elles pouvaient quitter Saint-Joseph vers 18-20 ans avec un métier.
Saint-Vincent de Paul soutint cette oeuvre à ses débuts.

 Elle prospéra à partir de 1674 grâce aux générosités de Mme de Montespan, favorite du roi Louis XIV, qui s'y retira en 1693. Elle contribua à faire connaître les broderies que produisaient les pensionnaires au sein d'un atelier qui fonctionnait depuis 1645. Elle fit venir des brodeurs professionnels. Ils effectuèrent de nombreuses commandes pour le château de Versailles notamment la salle du trône, les appartements du Dauphin, la Cour, les enfants de Mme Montespan avec le Roi. Cet atelier exécuta des travaux jusqu'au milieu du XVIIIème siècle.
La communauté dut alors accepter des dames pensionnaires.

BroderieSaisis à la Révolution, les bâtiments furent absorbés dans le Ministère de la guerre, et aujourd'hui Ministère de la Défense.

Quelques mots maintenant à propos du contexte historique : le XVIIème siècle où la broderie connut son apogée. Elle était un luxe que seule une classe de privilégiés pouvait s'offrir : les riches membres de la famille royale, les hauts dignitaires, la grande bourgeoisie, les municipalités et l'Eglise. Tout est brodé à cette époque, les vêtements féminins, masculins, les tissus d'ameublement, les meubles, les bibelots, les livres, la livrée des domestiques, l'harnachement des chevaux, les carosses...

La broderie est très fine, elle est d'or, d'argent, de soie, au petit-point, en peinture, à l'aiguille ou en couchure. Le nombre d'heures nécessaires à la réalisation des ouvrages et les prix sont considérables.

La demande est tellement importante que Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, ouvre les grandes manufactures et interdit les produits textiles manufacturés étrangers.

BroderieEn 1667, il ouvre la Manufacture royale des meubles de la couronne aux Gobelins, puis il fonde officiellement l'atelier de broderie du couvent Saint-Joseph à Paris (d'où venaient nos jeunes filles à marier) qui contribua à la décoration du château de Versailles, des châteaux de Noisy-le-Roi et de Saint-Cyr. On brode alors dans ces ateliers mais aussi dans de nombreux couvents où la dentelle et la broderie font depuis toujours partie de la vie monastique, tel le couvent des Ursulines d'Amiens.

Quelques lignes sur le fameux point de Venise qu'utilisent les brodeuses de Vieux-Fort : il est né à Venise, en Italie au XVII ème siècle. Il rencontre alors un immense succès dans toutes les Cours européennes ainsi qu'en France. En effet, Louis XIV adorait cette broderie et on la trouvait sur les vêtements, les meubles.

Pour conclure, je ne prétends pas affirmer que ces demoiselles sont à l'origine de la broderie de Vieux-Fort, cependant certains faits sont troublants : deux groupes de pensionnaires arrivèrent en Guadeloupe en 1643 et 1645.

En 1643, elles maîtrisaient certainement parfaitement la broderie puisqu'elles l'apprenaient dans la communauté pour en faire un métier.

En 1645, on sait officiellement que l'atelier de broderie fonctionnait [source : R.A. Weigert / Bulletin de la Société d'Etudes du XVIIème siècle (1949-1951)] et qu'elles produisaient des broderies, par conséquent, des jeunes filles arrivées en novembre 1645, selon moi, devaient à coup sûr broder et avoir quelques aiguilles dans leur équipage même s'il était peu de chose, comme le dit Du Tertre.

D'autre part, au début de la colonisation, dans les années 1640, les colons de la Basse-Terre s'installaient dans la région de Vieux-Fort, autour du Fort Royal.

Voici peut-être quelques éléments de réponse pour un artisanat séculaire dont l'origine est énigmatique.
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