Pour continuer mon précédent article sur la farine de manioc et la cassave, et après une petite visite au Musée Edgar Clerc au Moule, je vais maintenant me pencher sur le manuscrit l'Anonyme de Carpentras, écrit entre 1618 et 1620 par un marin anonyme. Jean-Pierre Moreau l'a publié sous le titre Un flibustier français dans la mer des Antilles 1618-1620. Notre marin a vécu près d'un an parmi les CaraÏbes de la Martinique et nous dépeint de manière détaillée leur mode de vie.
C'est ainsi qu'il nous décrit en détail la préparation de la cassave : "Le pain de nos Indiens est fait de la racine [...]nommée manioc ou turri, et ne peut être mise en oeuvre que par les femmes et fiiles de nos Indiens, ou par leurs captifs et captives [...]

Elles ratissent fort la racine avec un couteau ou coquille [...] la dépouiller de sa pelure, qui est quasi semblable et s'enlève comme celle d'un cerisier.


Collection Musée Edgar Clerc

Après ils la lavent fort et raclent sur un ais qu'ils nomment chimali, qui est environ quatre pieds de long et deux de large, au milieu duquel il y a environ un  pied de petits cailloux à fusil si bien enchassés qu'il est difficile de les retirer, et là-dessus elles ratissent leur racine en cette posture. Elles dressent leur dit chimali et mettent le bout d'en bas dans un petit baquet, pour recueillir ce qui tombe de ratissé, et appuient l'estomac sur l'autre bout d'en haut en s'abaissant un peu, ratissant après avec les mains, et ce qui tombe dans le susdit baquet est comme  de la pâte fort blanche à cause du suc qui est dans ladite racine qui est blanc comme lait.
Après elles épurent cette pâte et la pressent fort entre leurs mains, et réservent, et recueillent cureusement dans des coys le suc qui en tombe[...]

Source : Les Caraïbes / Ed. Désormeaux

si bien presser cette pâte qu'il n'y demeure encore quantité de ce suc, elles se servent après d'un certain outil creux qu'ils nomment awalli. Lequel a environ quatre pieds de long et est un peu plus gros  que le bras d'un homme, et aux deux bouts y a une forme d'anneau fait de même étoffe et le tout d'une pierre si industrieusement travaillée, qu'on ne saurait presque jurer le commencement ni la fin, et se retire comme dedans soi en s'élargissant et s'allonge de près d'un pied en s'étrécissant, de sorte qu'ayant mis la pâte dedans, étant pendu en haut à une cheville, paasant à celui d'en bas un bâton fort long sur lequel deux ou trois femmes s'assoient en pesant le plus qu'elles peuvent et font par ce moyen allonger et par conséquent rétrécir ledit awalli qui, pressant la pâte, lui fait rendre tout le reste du jus, et puis la retirent par rouleaux, parce qu'elle retient encore à cause de son humidité la forme dudit awalli.

Collection Musée Edgar Clerc

Après cela elles la mettent dans le baquet jusqu'au lendemain matin, qu'elle est tout à fait sèche, après, d'autant qu'il y a toujours quelques bûches qui sont dans la racine, elles la passent par un sac à passer fait de roseaux qu'ils nomment hubischi.

Collection Musée Edgar Clerc

Voilà donc la farine prête pour le pain, et pour ce faire ils font un gros feu sous une platine ronde faite de terre qui a environ deux pieds de diamètre qu'ils nomment toucqué, laquelle n'est appuyée que sur trois grosses pierres.
Et là-dessus elles étendent leur farine jusqu'à deux doigts près du bord, et de l'épaisseur d'un doigt, et la laissant ainsi d'un côté environ un demi-quart d'heure, et puis la tournent de l'autre fort subtilement sans la rompre avec une écaille de tortue[...], laquelle ils mettent par-dessous avec la main droite et la gauche dessus, et ainsi la tournent de l'autre côté où elle demeure encore autant.
Après, l'ôtant de dessus le feu elle est épaisse comme le petit doigt, ronde, blanche et si souple qu'on la peut rouler comme du linge et fort bonne et se conserve ainsi jusqu'au lendemain, qu'elle commence à durcir et à moisir, et n'est point bonne passé ce temps, qui est la cause que nos indiennes cuisent tous les matins, et la nomment ainsi faite herleba, et le nom général est cassave."


A la lecture de ce passage, on est heureux de constater que le procédé a traversé les âges et est resté exactement le même, ce sont seulement les ustensiles qui ont évolué.
 

Retour à l'accueil